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J'ai recopié cet article d'une gazette poussiéreuse de 1885 trouvée dans mon grenier "Le voleur" : LES NEUFS SOEURS AU XVIIIe SIECLE

Les neuf soeurs - évocation des muses de la mythologie - loge maçonnique - naquit d'un désir d'indépendance.

Des aristocrates avaient importé d'Angleterre au XVIIIè siècle en France la Franc-Maçonnerie.
Des obédiences se formèrent, notamment la Grande Loge de Clermont ainsi nommée du nom de son fondateur, le duc de CLermont décédé en 1772 et le Grand Orient de France, qui devint la plus importante, avec comme Grand Maître le cousin du roi, Louis Philippe Joseph d'Orléans, duc de Chartres.
Certains esprits brillants, désireux de garder la plus grande indépendance, se réunirent en une loge prenant le nom des NEUF SOEURS et voulant rester en dehors de toute obédience.
Joseph de Lalande, un des plus grands astronomes de l'époque, habitué des salons littéraires, groupe autour de lui des personnages de haut rang. Il créa une sorte d'académie échappant au formalisme, dégagée de toute institution royale. Il lui donna un cadre et la façon de procéder d'une réunion maçonnique.
Il sut tenir d'une main habile et souple son premier maillet. Cette loge acquit une renommée rapide et solide. Un règlement spécifiait que seuls pouvaient y être admis des candidats possédants un réel talent ou des titres. Il ne s'agissait pas d'une clause de style, mais d'une condition rigoureusement observée.
L'aristocratie se trouva représentée par le Duc de La Rochefoucault d'Einville, le Marquis de Condorcet, Elie de Beaumont. Y entrèrent des peintres comme Greuze et Vernet, des écrivains comme Sébastien Mercier, Chamfort, de Parny, Florian, des savants comme Lacépède et Bailly, un philosophe tel Cabanis, le docteur régent de la faculté de médecine, Lepreux, des parlementaires comme Duval d'Espremesnil et de Sèze, de grands notables tels Granmmaignac et de Santis.
Des membres d'autres loges pouvaient sur leur demande et après examen de leurs titres, bénéficier de la faveur de participer aux travaux des "Neufs Soeurs". On vit parmi eux l'avocat et journaliste Brissot, un des docteurs en médecine les plus réputés et les plus chers, le Très Illustre Frère Guillotin, le prince Charles de Rohan, le peintre Hubert Robert.
Les "Neufs Soeurs" différaient aussi des autres loges parce que l'on n'y accordait pas de temps aux agapes diverses, récitation de poèmes plus ou moins débiles ou banquets. Par son esprit méthodique et ses connaissances étendues, Lalande dirigeait de solides exposés et de passionnants débats. Il comprenait que la Maçonnerie se trouvait à l'orée d'une société nouvelle et près d'un édifice tendant à s'écrouler.
Il décida de recevoir dans la loge un personnage représentant la pensée d'avenir, l'idole des esprits libéraux :Voltaire. Mais l'auteur du "Dictionnaire Philosophique" affaibli par l'âge ne quittait plus sa retraite de Fernay.
Quelle attraction, quelle gloire pour les "Neuf Soeurs" de le faire venir et, pourquoi pas (quelle prétention !), de procéder à son initiation.
Que de démarches et de diplomatie fallut-il déployer pour obtenir l'acceptation de ce grand vieillard, au seuil de la mort.
Voltaire atteignait plus de 83 ans, âge exceptionnellement rare en une époque où l'on ignorait tous les remèdes, soins et traitements permettant d'allonger le cours de la vie. Rare étaient ceux dépassant les 70 ans. Dans Molière, les gérontes ont 40 ans.
Les "Neuf Soeurs" annoncèrent la réception de Voltaire pour le 8 avril 1778. Dès le 10 février, il vint à Paris sans de rendre compte de l'apothéose qu'il allait conférer à la loge.
Tous les francs-maçons, alertés, souhaitaient ardemment assister à la cérémonie. Le 8 avril, plus de deux cents personnes s'entassaient dans les salons du Grand Orient, rue du Pot-de-Fer. Des soeurs maçonnes réussirent à se glisser parmi les visiteurs. Elles portaient des tabliers ornés de broderies charmantes et magnifiques. Elles appartenaient à une loge d'adoption prétendue par elles souchée sur les "Neufs Soeurs". Leur présence allait à l'encontre des règles strictes fixées par la Grande Loge d'Angleterre. Mais, en France, comment résister à leur séduction et à leur élégance parfumée.
Une colonne d'harmonie apportait une cantate aux émouvants accents.
Comment procéder à une véritable cérémonie d'initiation pour ce vieillard qui semblait déjà tomber dans un autre monde. Pouvait-on lui demander de se présenter avec un pied déchaussé, la poitrine découverte, ni nu, ni habillé ? Allait-il boire la coupe d'amertume, subir les épreuves des quatre éléments, terre, air, eau, feu, s'engager sur la planche à bascule et marcher sur le chemin encombré de demi-globes ? Il existait un rituel à observer : on l'escamota.
Ses familiers se placèrent à ses côtés et le promenèrent lentement autour de l'atelier. De nombreuses accolades l'accablèrent. On s'embrasse beaucoup en milieu maçonnique. Benjamin Franklin pour finir lui donna très affectueusement la lumière en un ultime baiser fraternel.
En réalité, le plus initié de tous n'était-il pas ce défenseur des opprimés considéré par certains comme le démon de l'athéisme ?
Il marchait comme s'imaginant dans les nuages, le visage décharné, la bouche tordue, les yeux à demi-clos, exhibé tel une momie rendue vivante.
L'abandon de ses habitudes à Fernay, les fatigues du voyage, les trop nombreuses visites d'importuns, enfin cette initiation hâtèrent le trépas de Voltaire, 53 jours après la cérémonie, il rendit le dernier soupir dans l'impénitence totale.

Les ennuis commencèrent pour les "Neuf Soeurs".
L'Archevêque de Paris interdit toute cérémonie en l'honneur de Voltaire.
Le Vénérable, Lalande, plus ardent et résolu que jamais, décida de passer outre, en dépit des objurgations de Condorcet et du Très Illustre Frère Guillotin. Il voulut donner à la célébration maçonnique de deuil un caractère exceptionnel et y attirer encore plus de monde que pour l'initiation. Il réunit le Comité des "Neuf Soeurs" pour fixer le 28 novembre 1778 les pompes funèbres avec le maximum d'éclat. On invita Madame Denis, la nièce de Voltaire. Le Grand Orient de France, bien que les "Neuf Soeurs" restaient indépendantes de cette principale Obédience, offrit son concours aux fins de magnifiques obsèques.
Cette loge si peu discrète bafouait l'autorité, ce qui était d'autant plus mal venu en un pays dirigé par un roi fort dévôt. Un hostilité sourde l'opposait à son cousin Louis Philippe Joseph d'Orléans, duc de Chartres, Grand Maître du Grand Orient de France.
Il avait toléré, après son interdiction, la Franc Maçonnerie à la demande de la Reine, amie de la princesse de Lamballe, qui lui avait expliqué que, dans les loges d'adoption présidées par elle, on s'occupait non pas seulement de divertissements, mais sérieusement de charité.
L'affluence fut considérable.
En haut lieu, on criait au scandale. Roi et clergé touvaient qu'on avait dépassé les bornes, démontré les inconvénients d'une tolérance de plus en plus excessive et que les sanctions s'imposaient.
L'autorité légitime devait se manifester.
Des pourparlers s'engagèrent auxquels purent heureusement participer Jean Sylvain Bailly, membre des "Neufs Soeurs" et le Très Illustre Frère Guillotin. Ces deux personnages comprirent qu'on allait sévir et qu'il fallait éviter à la Franc-Maçonnerie, dans son ensemble, de souffrir de ces évènements.
Ils arrivèrent à faire retomber tous les torts sur une seule tête. Excellente solution : trouver un bouc émissaire : ce fut Lalande. Il donna, comme demandé, sa démission.
Bailly et Guillotin, venus en visite à Passy chez Benjamin Franklin qui se doutait de leur intervention, furent accueillis avec joie.
Tout rentra dans l'ordre.
Benjamin Franklin élu avec enthousiasme, dirigea les "Neuf Soeurs" jusqu'en 1783. En cette même année, le Marquis de COndorcet et Jean Sylvain Bailly qui faisait partie de l'Académie des Sciences, sont reçus à l'Académie Française.
Après un court vénéralat du Marquis de la Salle, le Comte de Milly, chimiste, membre de l'Académie des Sciences, lui succède mais meurt subitement. En son honneur, une tenue funèbre se célèbre le 7 mars 1785.
Les frères se rendent compte de la venue des temps nouveaux. Ils échangent des idées qui laissent prévoir, au dehors, des évènements comme ceux de la nuit du 4 août 1789 où les aristocrates votèrent la suppression des privilèges.
Après la convocation des Etats Généraux, Jean Sylvain Bailly, député du Tiers, se trouve élu président, prête serment de donner une constitution à la France. Il devient maire de Paris le 15 juillet 1789. Sa popularité apparaît immense.
Jacques Pierre Brissot, autrefois visiteur assidu des "Neuf Soeurs" y vient de plus en plus rarement. Il délaisse aussi son cabinet d'avocat. Il porte son activité sur un journal qu'il vient de fonder : "Le Patriote Français". Il deviendra plus tard député de Paris à l'Assemblée Législative.
Au cours de la Révolution, les autorités supprimèrent en août 1792, la presse royaliste, considérant ses rédacteurs comme des traitres.
Mais le "Patriote Français" appartenant à la presse de gauche, subit le même sort en juin 1793 comme tous les journaux paraissant alors. La Terreur sévissait. Brissot, Girondin, périt guillotiné.
Sous ce régime, Louis Philippe d'Orléans, duc de Chartres, qui avait démissionné du Grand Orient dont il était Grand Maître, se faisait appeler Philippe Egalité. Il fut arrêté rapidement et guillotiné.
Le marquis Condorcet, philosophe et mathématicien, de l'Académie Française et de l'Académie des Sciences, cessa ses activités aux "Neuf Soeurs". Député de Paris, il présida
Il prépara une constitution. Ami des Girondins, assez prudent pour rester dissimulé pendant ces périodes sinistres, il commit l'imprudence de sortir un jour. Reconnu, arrêté, il s'empoisonna dans sa prison.
Un des plus actifs membres des "Neuf Soeurs", Jean Sylvain Bailly, fut aussi victime de la Terreur dans des conditions atroces.
Arrêté, condamné à mort, on le conduisit à la guillotine. Amené sur les lieux, alors que les préparatifs de son exécution ne se trouvaient pas effectués, il attendit longtemps, debout, par un jour de novembre si glacial que son corps ressentait du froid. "Tu trembles Bailly", lui dit un spectateur. "C'est le froid mon ami", répondit-il.

Sous le directoire, les "Neuf Soeurs" tentèrent de reprendre leurs activités. Ses colonnes devenant presque désertes, la loge disparut. L'atmosphère brillante du XVIIIè siècle, la douceur de vivre, le passionnant échange d'idées nouvelles n'existait plus.

On trouve sans doute de nos jours des loges portant le nom des "Neuf Soeurs". Elles n'ont aucun rapport avec celle du XVIIIè siècle, assemblage unique de chercheur de la Parole Perdue.

( Le 20/01/2021 )98