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Charles Baudelaire fut accusé d'atteinte à la morale publique et religieuse lors de la publication des Fleurs du Mal, en 1857. Il a été finalement condamné pour six des poèmes de ce recueil, dont Lesbos* (en fin de chapitre). Il fut réhabilité par la Cour de Cassation 92 ans plus tard, en 1949. Que l'on soit homme ou femme, encore de nos jours, il faut s'armer de patience pour faire valoir ses droits, vu la lourdeur et la lenteur de la justice.

Ernest Pinard, procureur impérial, poursuit Baudelaire avec ce curieux discours :
"L’homme est toujours plus ou moins infirme, plus ou moins faible, plus ou moins malade, portant d’autant plus le poids de sa chute originelle qu’il veut en douter ou la nier. Si telle est sa nature intime tant qu’elle n’est pas relevée par de mâles efforts et une forte discipline, qui ne sait combien il prendra facilement le goût des frivolités lascives sans se préoccuper de l’enseignement que l’auteur veut y placer."
Il dénonce les bas instincts masculins qu'il estime ne pouvoir être corrigés que par de mâles efforts associés à une forte discipline (le singulier basic instinct).

Les injustices de l'histoire, quelques mots sur Sappho de Lesbos, qui était-elle ?

Pour tous aujourd'hui, ce nom évoque celui de la célèbre lesbienne. Lesbienne oui, quant à son homosexualité, elle n'a jamais été prouvée. Son amour des jeunes filles se situerait sur une autre dimension que celle de la chair, il s'agirait plutôt d'amour platonique.
Elle naquit vers 617 avant JC. Elle épousa le riche Cercycle et eut de lui une fille Cléide. A 27 ans, elle fut veuve. Elle créa alors un cercle avec ses amies et élèves. Elle composait des chansons et poèmes. Sa réputation vient du fait que Sappho vivait avec des jeunes filles à des fins d'enseignement et non à des fins perverses, comme Socrate était entouré de ses étudiants. A notre décharge, bon nombre de ses contemporains considéraient qu'elle était à l'origine de cette perversion parmi les femmes : pure jalousie vis à vis d'une femme si belle et si intelligente que Platon en a dit : "Les muses sont au nombre de neuf, disent certains, quelle erreur. Il en existe une dixième il s'agit de Sappho de Lesbos".

Chez les hommes, l'initiation de l'adolescent à la vertu par l'un de ses compagnons plus âgés comprenait tout ce qui était indispensable au façonnement de la personnalité d'un homme dans le concept de pédérastie. Les femmes, par contre, étaient tenues à l'écart de la vie sociale, et leur culture n'était pas considérée comme utile à la vie publique, ou pour l'acquisition de la vertu.

Les qualités féminines n'étaient donc pas mises en valeur. Sappho fut la première à avoir osé faire de l'amour saphiste un instrument visant à la culture des belles jeunes filles de Lesbos, suivant le modèle de la "pédérastie" masculine. Les conditions culturelles étaient réunies pour que les femmes puissent se réaliser dans d'autres domaines que les tâches domestiques. Il était fréquent d'organiser par exemple des concours de beauté et des manifestations semblables aux Jeux Olympiques. Les jeunes filles s'affrontaient en l'honneur d'Era, 1ere dame de l'Olympe puisque Madame Zeus.

Face à une société régie par les hommes et où la bravoure guerrière constituait la qualité suprême, Sappho osa opposer le lyrisme de la sensibilité féminine grâce à ces vers délicats : "Certains disent de l'armée, et d'autres de la cavalerie ou des navires que sur cette pauvre terre, c'est ce qu'il y a de plus beau et moi je dis que c'est là où chacun aime..." Une femme à la personnalité si clairvoyante constituait une provocation pour son époque. La liberté que dégageait chacune de ses œuvres paraissait trop dangereuse.

L'amour que vouait Sappho à Phaon lui fut fatal. La poétesse se réfugia dans l'ile de Leucade qui abritait le temple d'Apollon et la marche depuis laquelle s'effectuait le célèbre "saut dans la mer". C'est à cette solution tragique que les amoureux malchanceux avaient recours pour se délivrer à jamais du chagrin de l'amour. C'est de là également que se jeta Sappho, ne pouvant supporter l'impasse sentimentale dans laquelle elle se trouvait.

Ces vers délicats, nous offrent encore aujourd'hui, un souffle de fraicheur rare :
"Pomme tu me sembles sucrée, au bout de la branche en haut de laquelle tu as rougi, loin de la main de l'homme.
- Crois tu qu'on l'ait oubliée lors de la cueillette ?
- Non, on ne l'a point oubliée. On n'a pu l'atteindre."
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*Voici le très beau poème Lesbos de Baudelaire incriminé par la justice :

Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,
Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,
Font l'ornement des nuits et des jours glorieux,
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,

Lesbos, où les baisers sont comme les cascades
Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds
Et courent , sanglotant et gloussant par saccades,
Orageux et secrets, fourmillants et profonds ;
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !

Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Où jamais un soupir ne resta sans écho,
A l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté !
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ;
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,

Laisse du vieux Platon se froncer l’œil austère ;
Tu tires ton pardon de l'excès des baisers,
Reine du doux empire, aimable et noble terre,
Et des raffinements toujours inépuisés.
Laisse du vieux Platon se froncer l’œil austère.

Tu tires ton pardon de l'éternel martyre,
Infligé sans relâche aux cœurs ambitieux,
Qu'attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux !
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre !

Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge
Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge
De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux ?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?

Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Vierges au coeur sublime, honneur de l'Archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel !
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?

Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.

Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur ;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,

Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
cadavre adoré de Sapho qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !

De la mâle Sapho, l'amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
- L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l'amante et le poète !

- Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité Et le rayonnement de sa jeunesse blonde Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ; Plus belle que Vénus se dressant sur le monde ! - De Sapho qui mourut le jour de son blasphème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété
De celle qui mourut le jour de son blasphème.

Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers,
S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les cieux ses rivages déserts.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente !

Photos de gauche à droite :
- Sappho en compagnie de ses élèves, coupe attique de 440-420 av JC, du peintre de vases Polygnote
- Sappho et Phaon toile du peintre Jacques-Louis David 1809 (visible au musée de St Saint-Pétersbourg)
- médaillon retrouvé à Pompéi
- le saut dans la mer (le suicide de Sappho)

( Le 09/03/2021 )43