Le livre numérique gratuit de Eléa Coblan

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Entre le virtuellement vrai et le réellement faux : « Nous ! »

Il y a un tel écart entre le virtuel et la réalité que je le supporte mal, je patauge, je m’essouffle.

D’une part, on me fait miroiter un monde idyllique où tout le monde s’aime d’un amour tendre. Chaque femme convole avec l’homme qu’elle désire, le plus beau de tous et inversement. Nos amis sont fidèles, ils ne nous trahiront jamais et inversement. Exit les tâches quotidiennes, les courses, le ménage, la cuisine et les repassages fastidieux puisque nous voilà transformés en "no-lifes", avatars récupérés des coulisses des publicités légèrement mensongères. Oubliés les métros ou les transports en commun bringuebalants, nous empruntons les plus beaux coches parfumés de senteurs printanières pour cultiver nos jardins ou nous consacrer à nos occupations favorites. Si par hasard un embouteillage retarde un peu nos projets, nous en profitons pour échanger nos pensées riches de sens et d'énergie sous l'image du verre d'amitié. Nous sommes tous philosophes, artistes et nos œuvres seront immortelles pour la postérité, gravées dans la mémoire collective des intelligences supérieures artificielles, en sécurité dans une base de données sans limite, le stockage d'informations ne coûte presque rien de nos jours. Cet Éden est à la portée de toutes les personnes un tant soit peu pensantes. La beauté y a la fraîcheur de la rosée du matin et la couleur de nos meilleurs sentiments. Notre disponibilité sans borne témoigne de notre capacité d'écoute et de notre générosité affichées.

L'être humain est si divin !

D’autre part, on m'inflige les pires horreurs, les images les plus cruelles recherchées jusqu'aux fins fonds des enfers de notre planète : des images d'hommes ou de femmes massacrés par d'autres, des images de guerres plus meurtrières que tous les tsunamis, des images d'animaux torturés, d'espèces que l'on détruit sans se poser de questions. Le monde n'a jamais été aussi dangereux, aussi infâme, aussi débilitant...tant au plan environnemental que sociétal, et toutes les bulles que nous formons pour tenter de nous protéger ne sont que des leurres, des mensonges à l'usage des gogos et des bonnes âmes qui existent encore avec toute leur sincérité inutile. Nous ne sommes qu'à l'entrée de la boutique des horreurs, le "meilleur" est à venir, d'autant que nos "lénifiants" patentés persistent dans des analyses qui ne devraient plus avoir cours... Ceux qui ont la chance de pouvoir encore se protéger, qu'ils en profitent, toute la charge reviendra à ceux qui nous suivent et qui, probablement, ne nous remercieront pas ! Les injustices sont inversement proportionnelles aux doux babillements des cœurs distribués sur l'ensemble des réseaux sociaux. Il est super facile de faire un cœur, nous savons tous le dessiner, non ? <3, c’est pas compliqué et ça n'a pas de prix.

Pour m'échapper un peu de ces considérations qui me compressent avec des représentations opposées, j'aurais besoin de vérifier que ma terre n'a pas tellement changé. Seulement, difficile de prendre le large. Parcourir le monde pour se "rassurer", pour vérifier, pour rencontrer les autres, alors que la moitié des pays de la planète est devenue infréquentable, souvent pour les mêmes raisons que la bienséance, le politiquement correct, interdisent de désigner. Nous sommes tous ceci ou cela et nous prétendons ne pas avoir peur, faisons assaut de solidarité... virtuelle, bien entendu, au fond très peu confiants dans les assurances qui sont données sur l'absence de risque à séjourner dans certaines contrées...
Nul besoin d'aller trop loin finalement, je vais observer mon entourage, voir si mes collègues sont toujours aussi jaloux de mes réussites et si mes voisins sont toujours aussi indifférents à ma personne au point qu'ils ont du mal à me reconnaître si je change de coiffure. Pas de souci, ils sont là ! Notre monde n'est pas parfait, il a les obligations que nous lui créons, il est ce que nous en faisons, il existe et moi j'existe avec lui. Bien sûr, la crise, l'inflation, les politiques incohérentes, le terrorisme, la folie des grandeurs et des extrêmes nous affectent, mais j'appartiens, comme la plupart d'entre nous, à une mouvance naturelle qui sait et qui saura réagir, j'en suis convaincue. Et puis, il y a un mystère que je veux conserver intact : celui qui me pousse à aimer spontanément l’essence d’un parfum, par exemple, sans en connaître le coût de sa promotion. Mon équilibre personnel repose sur l'harmonie entre mes perceptions et mes connaissances : je ne veux pas savourer la beauté au même titre qu'un produit de consommation, ni parce que tout le monde la juge belle.

L'être humain est si humain !

Parfois, tout est trop bien dessiné, au point de te faire détester l'art, le bel art et les beaux arts. Parfois, tout est trop mensonger. Il n'y a pas de juste milieu.
Il n'est pas facile dans ce fatras de séparer le bon grain de l'ivraie.
Je lisais ceci tantôt :
"Les hommes véritablement utiles sèment ce qu'ils ne verront pas fructifier. L'arbre qu'ils ont planté donnera de l'ombre à leurs descendants, ils le savent, et se résignent de gaieté de cœur, ayant labouré et semé, de n'être plus là quand viendra le temps des moissons."

( Le 13/04/2023 )42