Le livre numérique gratuit de Eléa Coblan

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Avant-propos.
Anne de Pisselieu, Duchesse d'Etampes est la favorite du Roi François 1er.
François 1er ordonne à Anne de lui faire un point de situation sur les dissidents de la vallée du Viaur.
François de Bourbon, Comte de Saint-Paul, proche ami du Roi, Preux Chevalier, est chargé d'accompagner Anne.
Anne et le Chevalier du Roi convoleront dans le plus grand des secrets et goûteront ensemble émois et étreintes à Panissole, cette église si particulière avec vue plongeante sur le Viaur, refuge d'un Pape, .
Les secrets ne seraient pas ce qu'ils sont s'ils n'étaient jamais découverts...
Cette petite histoire est basée sur des faits réels de l'épopée de François 1er lors de son passage à Cordes en 1533, lorsqu'il franchit le Languedoc pour se rendre à Marseille.

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François de Valois, Comte d'Angoulême, possédait une taille de héros. Son visage noble était rempli de grâces. Il devait son esprit vif et cultivé à son entourage, des gens de lettres dont le savoir se situait bien au delà des connaissances de l'époque. Il avait peu de jalousie pour ceux qui en avaient plus que lui. Son amour pour les arts et pour les sciences, son accueil aisé, son éloquence naturelle, sa magnificence, sa valeur, tout assurait les Français d'un règne heureux. Le valeureux Comte d'Angoulême fut nommé Roi de France en 1515, dans sa vingtième année. La Cour de François Ier qui partageait les avantages qu'il avait reçus semblait avoir été conçue naturellement pour sa compagnie.

Cette histoire commence lorsque François 1er traversa la petite cité perchée dans les nuages connue sous l'appellation « Cordes-sur-Ciel », située dans le département du Tarn, bien après son accession au trône.

Il fut convenu que le Souverain se rendrait à Marseille au mois de juillet 1533 pour préparer le mariage de son second fils Henri d'Orléans avec Catherine de Médicis qui devait avoir lieu en octobre de la même année. Une rencontre avec le pape Clément VII, oncle et protecteur de la jeune Catherine avait été planifiée à l'occasion de cette union, un beau mariage en échange d'une alliance contre l'Empereur Charles Quint avec qui Clément VII était en complet désaccord.

Le voyage de François 1er et de ses suivants avait été organisé par une commission de géographes, de conseillers en politique, d'évêques et de philosophes. Tout était calculé au kilomètre près, le Roi n'avait plus vraiment son mot à dire, même pas maudire la route dans le secret de son cœur. La sécurité prévalait sur la liberté ; le budget de la Garde Royale avait été multiplié par dix pour renforcer les postes aux carrefours sensibles, là où des rebelles vêtus de pourpoints jaunes du plus mauvais goût revendiquaient tout et n'importe quoi. S'ils n'avaient pas de pain, ils pouvaient aller s'acheter de la brioche, le travail ne manquait pas sur le trottoir d'en face pour se la payer. Néanmoins, pas question de sortir, pour un oui, pour un non, lorsque le Roi se déplace. Les gueux et les terreux avaient été confinés dans les étables ou les masures sous le fallacieux prétexte que le virus de la peste allait décimer 20% de la population si l'on ne respectait pas les gestes barrières. Seules les familles qui présentaient des titres de noblesse anciens ou qui avaient un sauf-conduit en bonne et due forme ou qui étaient parrainées par un familier de la Cour recevaient un badge les autorisant à se placer selon le rang pour acclamer les Illustres Voyageurs.

L'amour est l'étoile qui guide tout navire vagabond. Quel sextant pourrait mesurer sa valeur ?

Le Roi était amoureux, l'Amour est enfant de Bohême et ne connaît pas de Loi. De toutes manières, François était la Loi et allait le faire savoir. Il décida de ne point cheminer ainsi qu'on l'y forçait, mais d'allonger considérablement sa trajectoire par un détour en Languedoc. Quelle curieuse idée ! Aussitôt l'équipe stratégique se réunit, refit des études de faisabilité, convoqua une multitude d'experts très bien rémunérés, la cellule communication fut sollicitée une nouvelle fois. Quelques semaines passèrent et on présenta le nouveau circuit à Sa Majesté qui le valida.

Le rapport comportait autant de pages que celui qui fut remis par la France à l'Angleterre sur la crise de la pêche. Les principales bastides traversées seraient : Blois, Bourges, Clermont-Ferrand, Rodez, Albi, Gaillac, Toulouse, Montpellier, Marseille. En Albigeois, ce fut une véritable émotion populaire dont il nous est difficile aujourd'hui de comprendre l'importance. Le pays qu'on appelait alors la France était si loin du Languedoc et les rois de cette France lointaine venaient si rarement en Languedoc ! On verra par la suite que le Roi Nomade imagina un plan légèrement différent qu'il préférait garder secret pour l'instant.

Pourquoi tergiverser ainsi ? Pour une Dame que François 1er voulait nommer Princesse de mi-nuit, Anne de Pisseleu, Duchesse d’Étampes.

A l'attention de mes lecteurs qui ne connaîtraient pas le mythe, la princesse de mi-nuit est Reine de la nuit, pas d'une nuit scandinave qui dure toute une vie, mais d'une nuit de quelques heures où le plaisir est au zénith. Les aurores boréales ne manquent pas, elles n'existent pas que dans le Grand Nord. François 1er, chasseur dans l'âme, ne s'y trompait pas. Il savait parfaitement où cueillir Celle qui toucherait son cœur de Lion et éveillerait son profond désir de s'émanciper dans la peau du fauve. Le bon Roi des Français souhaitait rendre visite en personne à sa Princesse. Le moyen de transport d'une princesse présentait un inconvénient majeur : précaire, il ne s’arrêtait pas devant tous les palais.

Anne de Pisseleu, sur l'ordre de son Royal Amant, descendit dès le mois de juin au château du Cayla, un manoir confortable dans les environs de Cordes-sur-Ciel. Catholique, sans aucun fanatisme, cette femme à l'intelligence au moins égale à sa beauté, fut chargée de vérifier une légende qui circulait dans les milieux savants complotistes. Certains opposants voyaient chez Clément VII, le Médicis, la réincarnation diabolique de l'antipape Clément VII de la branche d'Avignon qui vécut 150 auparavant. Les plus durs faisaient circuler une rumeur assassine : Satan aurait élu domicile à Rome. Pour lever l’ambiguïté sur cette homonymie gênante, elle accepta la mission confiée par son souverain et fila en compagnie d'un autre François, Monsieur de Bourbon, comte de Saint-Paul, chevalier et grand ami du Roi dans ce pays sauvage et isolé du monde moderne, entre Rouergue et Albigeois.

La Duchesse, qui avait un pouvoir de persuasion non négligeable, fut informée de l’existence d'une église dévoyée par quelques méchantes langues. Cette grotte existe encore de nos jours. On la nomme "Église", mais il s'agit d'une grotte dont la forme évoque une nef. Elle accueille des offices clandestins. Clandestins en raison de l'appartenance des fidèles à une branche dissidente de l'Église Catholique qui refuse de reconnaître la suprématie Romaine. Il était inconcevable d'avoir deux têtes, il fallait en couper une. Les femmes ne sont ni diplomates, ni politiques. L'ambassadeur Marnol avait prévenu Charles Quint en ces termes : « Anne toute sa vie a esté legiere et instable ». Dans une autre lettre, il écrit : « Malgré sa préférence précédente pour la paix avec l’Angleterre, elle incite à la guerre ». Encore une fois, l'instabilité d'Anne va jouer à contre courant, en faveur des factieux, ces insoumis qui relèvent du Pape du Viaur de la lignée de Pedro de Luna, bien trop minoritaires pour que les armées s'épuisent à les traquer dans ces sous-bois.

La Grotte, à flanc de paroi est impressionnante. Ouverte vers la vallée et au cœur de la végétation, elle est grise et noire et on peut y entrer à quelques dizaines. Son accès est ardu. La Dame ne l'aurait probablement jamais visitée si Monsieur le Comte de Saint-Paul n'avait pas guidé ses pas avec la formidable force que l'Amour Fin procure à l'amant. Cette épopée ne s'apparentait pas à la promenade du touriste du XXI ème siècle, bien lové dans son automobile qu'il peut garer sur le parking de l’Église du village de Flauzins, à deux pas du site coupable de Panissole. Elle ressemblait, c'est peu dire, à un véritable « Voyage intergalactique qui nimbe le Vaisseau d'un nuage de poissons-volants ».

Sept ou huit heures de calèche s'imposaient avant d'explorer cette terre. En tout bien, tout honneur, Monsieur de Bourbon chevauchait sa monture avec ses émotions qui se transformaient en de sensuels fantasmes. Il redoutait la punition divine qui ne manquerait pas de s'abattre sur lui s'il n'arrivait pas à s'interdire ces pensées perverses qui l'obsédaient. Cette femme, si proche, si lointaine en même temps provoquait en son âme les pires tourments. La Mort seule pourrait éteindre cette passion qui redoublait à chaque mètre parcouru en sa compagnie. Trahir ainsi un Ami méritait de déchoir du genre humain, d’être catapulté en asile comme aliéné, et surtout d'être privé de tous ses privilèges. Trahir son Roi ne pourrait jamais lui être pardonné. Pour expier son doux péché, il se frappait parfois avec sa cravache. Il ressentit l'Amour Fou qu'un certain André Breton décrira beaucoup plus tard dans Nadja.

Malheureusement pour notre Chevalier amoureux, il n'était pas au bout de sa peine. Quand, une fois arrivé sur les lieux inhospitaliers, il envoya ses gens pour baliser un sentier jusqu'à la Grotte, il comprit qu'il faudrait serrer la Dame dans ses bras, très fort, afin qu'elle ne glissa point. Ce fut tellement vertigineux que, malgré les aléas d'une nature indomptée, ils revinrent très souvent sur ces lieux. Ce qui devait arriver arriva, leur corps émoussé par tant de promiscuité ne put bien longtemps réprimer la frénésie de cette ardeur. Le jour de la Saint Jean, il s'unirent dans des ébats à faire honte à tous les animaux de la forêt, à l'image des Fashilieiras, filles de Bacchus, qui aurait été conviées au banquet du Drac et de ses sorcières pour une orgie démoniaque. C'est ainsi qu'ils se convertirent à cette religion hérétique et que la Duchesse allait conseiller au Roi d'en faire de même.

Le 21 juillet 1533, François 1er annonça son intention d'éviter Albi pour traverser Monestiés afin d'honorer la Vierge de la Chapelle Saint Jacques, puis de traverser Cordes le 27 juillet pour se reposer à Gaillac. La nouvelle jeta la consternation sur le plus humble des albigeois jusqu'aux Consuls de Toulouse. On imagine la déception de la population et sa colère quand elle apprit que le Roi passerait néanmoins par Gaillac. Sa Majesté fit son entrée à Rodez le matin du 25 juillet, il entendit la messe à la cathédrale, repartit aussitôt « sans boire, ni manger », alla dîner à Luc et coucher à Naucelle ; le 26 juillet, il s'arrêta à Monestiés et, le 27, il défila avec son escorte sous les murs de Cordes pour arriver à Gaillac dans la journée.

On aperçut ce soir là un athlète vêtu d'une cape noire pénétrer, telle une ombre, dans l'aile du château du Cayla réservée à Anne de Pisselieu et n'en ressortir qu'à l'aube du lendemain matin.

Être cocu ne rend pas sage, surtout que le cocu est le dernier à l'apprendre. Un espion plus courageux que les autres lui décrit le délit à son retour en son château de Blois. Le Roi François en fut dévasté. Il exila les deux tourtereaux qui se réfugièrent en Angleterre où les mœurs étaient plus souples qu'en France. Il se remit rapidement de son chagrin, les femmes l'y aidèrent, il aimait expliquer qu'une Cour sans femme, c'est comme un jardin sans fleur, sa légèreté légendaire ne lui faisant rien oublier ni les affronts, ni son devoir. Des historiens pensent que l'infidélité de sa favorite explique la cause de son durcissement vis à vis de la religion réformée. Il ira jusqu'à passer des accords avec Charles Quint dans lesquels il s'engagera à éradiquer la menace protestante en Europe et donc en France. Le peuple du Viaur cessera de ce fait d'être la ligne de mire. Les protestants, par contre, en payeront un prix élevé.

Bien plus tard, François 1er prit pour maîtresse la Fornarina dont il nous reste le magnifique portrait de Raphaël "Ritratto di giovane donna". On dit que son mari, jaloux, parcourut les bordels jusqu'à attraper la syphilis afin de la transmettre à sa femme infidèle, qui, à son tour, la donnerait au Roi. La justice aurait pu faire comparaître la jeune femme pour homicide involontaire et son mari pour homicide, l'histoire ne précise pas si une condamnation pour crime de lèse-majesté fut prononcée.
La région des gorges du Viaur, aux frontières de l'Albigeois et du Rouergue, paraît être une terre pour toutes les dissidences : les partisans de l'antipape Benoit XIV à la fin du Moyen Age, les Enfarinés sous le Concordat. De nos jours, une Église se positionne dans la droite filiation de cette succession apostolique initiatique.

Photo : Cordes-sur-Ciel, une autre vue de cette vieille dame qui fête ses 800 ans en 2022.

Pour terminer sur l'essentiel : la beauté, voici un extrait de poème d'un talentueux habitant de la jolie cité, Paul Sanda :

Quinte cordaise
...
quand les pierres s'affolent, lassées d'être blessées, la tour, la rampe, la voûte & la muraille s'absentent
de plein ciel / à quel château fantasophal s'adosse-t-on ici ?
Dans l'ombre du pape si fameux (Jean le vingt-deuxième),
à quel autel d'alchimie va-t-on se vouer au fond de l'âme ?

Celui qui philosophe, doucement se résigne – l'algèbre
se dessine aux pavés de fortune / une tête de fer crache
de l'eau, du sang-dragon, du mercure – des cohortes
d'insectes se pressent sous les
impatiens ; des larmes
de désir coulent à la joie des parfums, comme la cité s'endort
...

Dans le secret le plus absolu, réunis devant le feu de cheminée, lorsque la grillée de châtaignes exhale ce parfum unique venu des profondeurs d'une époque révolue, les troubadours de ce pays nous racontent des récits très mystérieux : « Les nuits de pleine lune, les enchanteresses quittaient les profondeurs des vaux pour rejoindre les monts, et trépider jusqu’aux aurores. Les fées, les fachilièiras adoraient s’immerger dans les gourgs si encaissés du Viaur. Leur seule véritable peur était que le Drac, ce maudit reptile diabolique venu du creuset de l’onde, ne vienne agacer leur virginité. Elles fuyaient alors les abords de la ravine pour s’en aller ambitionner quelques libertés nouvelles, et pour s’envoler, couramment, de concert, jusqu’à Cordes. On les a souvent observées "tout là-haut sur le Ségala, hanter le pays des ventres noirs". Ainsi, l’ancien conte de ces sirènes facétieuses a-t-il passé les époques et les générations. Et ces fées, les fachilièiras ont même hérité de nos jours, du côté de Vabre-Tizac en Aveyron, d’une source baptisée en leur honneur, près de laquelle on a souvent affirmé qu’elles gambadaient jusqu’à n’en plus pouvoir, et donc jusqu’à mourir de soif ».

Merci à tous les contributeurs de ce chapitre (Henri, Paul, et tous ceux dont les ouvrages m'ont éclairée sur cette portion d'histoire de notre pays).

( Le 20/11/2021 )117