Le livre numérique gratuit de Eléa Coblan

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L'Alhambra de Grenade, Andalousie.

I – Un peu d'histoire

L'Andalousie est devenue aujourd'hui l'une des 17 communautés autonomes de l'Espagne démocratique. Elle revendique avec fierté son passé de province romaine, puis de territoire principal de l'Espagne musulmane. Elle cultive le souvenir de son histoire glorieuse, notamment ce qui la rattache à cette dernière : les fastes de la Grenade des Nasrides et la prospérité du califat de Cordoue. L'Espagne musulmane a duré huit siècles de l'invasion de 711 à la prise de Grenade le 2 janvier 1492. Les Omeyyades, chassés de Syrie, se déclarent indépendants et se proclament califes de Cordoue au Xème siècle. Des conflits entre le roi de Castille Ferdinand III et le premier émir Nasride de Grenade al-Ahmar (Muhammad Ier ibn al-Ahmar) naissent jusqu'au pacte de Jaen en 1246. al-Ahmar devient alors vassal de Ferdinand.

Les envahisseurs sont surtout des Berbères, peu d'Arabes, qui arrivent de l'autre côté du Détroit de Gibraltar. Ils ont été aidés sur place par les divisions internes du royaume Wisigoth, après la mort du Roi Vitiza en 710, qui dégénérèrent en guerre civile. Ils sont peu islamisés, ce sont des Maures. La question que les historiens se pose est la suivante : « Islamisation de l'Espagne ou Hispanisation de l'Islam ? » L'établissement du califat de Cordoue penche pour la seconde hypothèse, puisque ce califat se sépare du reste du monde musulman.

Bien que l'Espagne musulmane soit présentée comme le pays où les trois religions monothéistes vécurent en bonne entente, il s'avère que le statut des musulmans est privilégié et que les discriminations vis à vis des juifs et des chrétiens sont courantes. On les oblige à porter des signes distinctifs (bonnets ou habits ridicules, ceintures, marques jaunes). Ils doivent habiter des quartiers clos, n'utiliser comme monture que des ânes, avoir des maisons plus basses que celles des musulmans, s'écarter devant eux dans la rue. Pour les tribunaux, leurs témoignages sont nuls, non avenus...
Cependant, tout au long de ces siècles, il y eut des échanges importants, tant Cordoue rayonnait de splendeur et de savoir-faire. Cette forteresse était un foyer religieux et culturel avec ses minarets et ses écoles mais aussi économique et commercial. Les commerçants du monde entier y étaient accueillis, les négociants logés : marchés, caravansérail, bains... Cordoue est reliée aux autres métropoles du monde musulman où circulaient marchandises, hommes et idées. Science et médecine progressent fortement.
La prise de Grenade par les chrétiens en 1492 représente une victoire essentielle louée dans toute l'Europe. L'Alhambra est conservé grâce à la maurophilie littéraire à la mode. Charles Quint influencé par Isabelle, son épouse, empêchera la destruction totale des monuments arabes. Il construira son propre palais, grosso modo.

Le conflit des civilisations marque la fin de cette période : on déteste ceux qui sont différents dans les vêtements, dans la façon de se nourrir, dans la langue (ceux qui parlent arabe et ceux qui parlent espagnol, ceux qui mangent du porc et les autres, etc). Les femmes sont particulièrement concernées : Isabelle, Reine de Castille, fut frappée en 1499 car toutes les femmes portaient le voile. Ce dernier fut interdit en 1513. Elles eurent des détracteurs et des défenseurs dont l'argument reposait sur le fait que, en Castille, nombreuses étaient les femmes qui portaient la mantille sous le chapeau pour sortir. Il n'y avait donc aucun mal à porter le voile islamique.

Ne dit-on pas que l'histoire est cyclique...

II - A Grenade, j'ai vu l'Alhambra de près.

Établie sur la Colline Rouge, la citadelle de l'Alhambra se présente comme le chef d’œuvre de l'art islamique à plus de 700 mètres d'altitude sur un plateau de la Sierra Nevada. Elle se situe au sein de murailles de plus de 2 kilomètres renforcées par une trentaine de tours. Elle est le résultat de trois siècles d'activités de construction pendant l'époque andalousi, poursuivis à l'époque chrétienne presque jusqu'à nos jours.

---Le Generalife.

J'ai commencé par la visite du Generalife qui est le seul jardin qui ait été conservé. Le roi de Grenade allait s'y reposer loin des préoccupations de la cour. L'aménagement n'est pas d'origine mais représente bien le jardin hispano-musulman tel que décrit par d'anciens traités d'agriculture et de jardinage. Ces traités précisent que la maison doit être entourée de jardins et située en hauteur pour la sécurité du propriétaire. Sur la partie la plus élevée il sera creusé un puits ou un bassin à partir duquel une rigole serpentera entre les plantes et les arbres. Ainsi les massifs de toutes sortes de plantes agréables à la vue seront toujours verts. Des fleurs et des arbres à feuille pérennes se trouveront un peu à l'écart. Des pieds de vignes entoureront le jardin potager et couvriront les chemins séparant des parterres pour donner de l'ombre. Pour le repos, il y aura un pavillon ouvert entouré de rosiers grimpants, de myrtes et d'autres sortes de plantes.

---Les palais Nazrides.

Mon guide de visite décrit l'ancienne maison royale ainsi : « C'est peu après la reconquête que l'ensemble des palais Nasrides fut appelé Mexuar dans le but de le délimiter par rapport à la nouvelle Maison Royale que Charles Quint prétendait construire avec son palais comme grand centre résidentiel, administratif et politique de l'Empire. Cette distinction impliquait la volonté d'intégrer la partie nasride de façon logique au nouveau projet. Ses grands parents n'avaient pas de résidence fixe de sorte qu'en choisissant l'Alhambra pour y installer sa cour, l'Empereur la sauvait pour la postérité.
L'ancienne Maison Royale comprend encore à notre époque les centres les plus importants de l'Alhambra : Mexuat, Comares et Leones avec leurs dépendances et annexes qui méritent bien un traitement différencié à l'intérieur de l'ensemble.
Les spécialistes considèrent que sept palais composaient l'ensemble ; il ne reste qu'une partie de la ville princière et des vestiges de la médina. Le peu qui est parvenu jusqu'à nous donne cependant une idée assez claire de la splendeur et de la grandeur qu'avait atteint une civilisation, politiquement décadente mais dans son meilleur moment culturel.
L'Alhambra patrimoine de l'humanité, est air, lumière, espace au-delà de la pure architecture. Ce n'est pas un simple espace rempli à partir du vide mais plutôt un espace capturé, forgé, à base d'étincelles et d'ombres, de ruisseaux, de fleurs, de calligraphies enveloppantes comme la peau, et de sensations qui dépassent le temps.

De toutes parts, on trouve des éléments finement sculptés, des ornements de céramiques entre mystique et mathématiques basés sur la répétition et la stylisation. Le rythme est, en effet, la base dans tous les arts de l'islam, poésie et musique incluses. Les motifs et les dessins ornementaux se succèdent suivant des rythmes répétitifs jusqu'à « l'infini, telle une métaphore de l'éternité qui remplit l'espace. Il s'agit de formules élaborées à partir de la multiplication et de la division, par rotation et distribution géométrique. C'est l'unité dans la multiplicité et la multiplicité dans l'unité. Le détail ne domine jamais l'ensemble. On obtient harmonie complète et tranquillité, un art du repos ou les tensions disparaissent. » (Prof. Borräs).

---La Cour des Lions.

Il y aurait tant de choses à raconter, il faut les admirer. Je terminerai donc par le Patio del Leones qui était le centre de la demeure privée du Sultan où se trouvaient les dépendances réservées aux femmes. C'était aussi le centre de l'activité diplomatique. Quelle merveille ! On la nomme ainsi car une fontaine au centre de cette cour fait jaillir l'eau de la gueule de douze lions de marbre blanc qui semblent observer les moindres recoins du patio. La fontaine originale pourrait reprendre un symbole très ancien arrivé depuis l'Orient pré-chrétien : le lion et l'eau comme le soleil qui donne la vie. Les douze lions représenteraient les douze soleils du zodiaque, les douze mois qui, dans l'éternité, existent de façon simultanée. Ils soutiennent la mer comme les douze taureaux du temple de Salomon, et cette mer reçoit les eaux célestes (Pr. Manzano).

Des poèmes sont gravés dans les niches et les miradors.
En voici un :
"Tous les arts m’ont enrichie de leur beauté spéciale et dotée de leur splendeur et de leur perfection. Juge à ma place de la beauté de l’épouse qui demande des faveurs à ce verre. Quand il me regarde, il contemple attentivement ma beauté mais l’apparence le trompe. Je ne suis pas seule car je contemple un jardin magnifique ; personne n’en a vu de semblable. C’est le palais de cristal ; cependant certains en le voyant l’ont considéré comme un océan orageux. Ici le souffle de l’air est frais; l’atmosphère est saine et le zéphyr agréable. J’ai réussi à réunir toutes les beautés pour que les astres du haut firmament y prennent leur lumière. Dans ce jardin, je suis un oeil plein de joie et sa pupille est, en vérité, mon seigneur. Je suis l’épouse avec mes habits de noces, belle et parfaite. Regarde cette jarre d’eau et tu comprendras l’abondance de vérité que renferment mes paroles. Regarde aussi ma couronne, tu la trouveras semblable à la lune nouvelle."

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Photo : L'Alhambra, le Generalife et la Cour des Lions.

( Le 02/09/2022 )92