Le livre numérique gratuit de Eléa Coblan

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Deux constats -> un : on y vit penché, deux : cette île se mérite !

Le premier jour, lorsque j’arrive à l’hôtel à Caniço Beach, celui-ci me semble être éloigné de tout. Aussi loin que je regarde : d’un côté je vois l’Océan Atlantique qui se rue sur des amas de roches volcaniques et de l’autre la montagne avec des maisons accrochées on ne sait pas trop par quel miracle. A quelques mètres au-dessus, un petite boutique de souvenirs et un petit supermarché sont implantés sur un rond-point à partir duquel il y a des rues qui montent vers la montagne ou qui descendent vers la mer. Je me dis que les vacances dans ce trou vont être difficiles et que je me suis trompée sur la destination bien que l’hôtel ait tout le confort qu’un touriste lambda puisse espérer : chambre spacieuse, vue sur mer et jardin fleuri, piscine olympique avec transats, pas foule.

Mais il ne s’agit pas de rester enfermée sous peine de perdre mon temps : même en vacances le temps est précieux. La journée avance, un arrêt de bus laisse penser qu’il y a des transports en commun. Je m’approche pour déchiffrer l’horaire du bus susceptible de m’amener jusqu’à la capitale Funchal. C’est alors qu’arrive un autocar bleu très coloré dont l’arrière comporte des places découvertes et qui propose de faire visiter les points clés de l’ile pour une vingtaine d’euros par personne. Je ne veux pas me lancer dans un piège à touristes. Par ailleurs, je lis que le transport public jusqu’à Funchal est à 2,20 euros, mais on est samedi et le bus passe toutes les deux heures. Je décide finalement de prendre un de ces taxis jaunes pour rejoindre le centre de Funchal afin de faire un premier repérage. Le chauffeur est une dame bavarde et haute en couleur, j'en prends pour mon argent. Elle m'explique en anglais portugarisé les problèmes de l’ile : un grand incendie a détruit une grande partie de la végétation à l’est de Funchal et les jardins ont souffert, elle me parle aussi des catastrophes naturelles (orages, vents violents) qui ont touché la ville et détruit des bâtiments importants à cause des glissements de terrain. J'espère de tout cœur qu'aucun tremblement de terre n'anéantira jamais ces ouvrages. Bien que le trajet se déroule sur la voie express ultra-moderne comme l’ensemble du réseau routier de l’ile refait récemment (voies rouges des plans) entre Caniço et Funchal, mon cerveau intègre que ces voies traversent les montagnes. En contre-bas : l’océan ; en haut : les montagnes ; au milieu : la route. Déjà là, je mesure les travaux titanesques qui ont permis de relier ces villes qui ne sont distantes que de quelques dizaines de kilomètres mais que les énormes pics rocheux séparaient avant qu’ils ne soient percés de tunnels ou que des ponts aient été bâtis. Ces routes raccourcissent les temps de communication, les échanges et améliorent donc tout le processus économique.

Ce qu’on voit en premier au centre de Funchal, ce sont deux canaux parallèles qui s’engouffrent dans la ville. Ces canaux laissent entrer l’eau de l’océan à marée haute et se vident à marée basse. Les canards attendent patiemment que l’eau monte à marée basse, c’est amusant. Sur le bord de mer, il y a comme des petits escaliers séparés sur différents niveaux qui descendent en pente douce jusqu’à l’eau, je pensais au début à une œuvre d’art contemporaine mais je suppose que c’est pour casser les énormes rouleaux qui pourraient inonder la ville. Ensuite, en continuant la balade, je constate que les chinois ont le monopole des commerces de souvenirs et des vêtements de petite qualité, je fouine un peu là-dedans en admirant les rues où des artistes ont tracé des dessins avec des petits pavés de mosaïque gris et noirs : ici un pentagone, là un berger, ailleurs un symbole qui m’échappe. Il ne faut pas manquer le marché aux fleurs pour les bulbes ainsi que le marché aux fruits et légumes ou le marché aux poissons qui est immense et typique. Dans tout ce bric à brac, les sempiternels stands de souvenirs rouges et verts se frayent une place entre les géraniums, les aloès, les oiseaux de paradis et les bananes. Il y a aussi la rue Santa Maria à visiter le soir. Elle ressemble un peu à la rue de la Huchette à Paris. Cette rue était la rue des pirates et des voleurs qui venaient s’y saouler après avoir planqué leur butin ou vendu leurs esclaves. Elle a bien changé mais les tavernes dans lesquelles on peut manger, boire et écouter du fado se succèdent avec leurs tables installées dans la rue. L’art se mêle aux plaisirs des saveurs et des odeurs de grillades épicées : toutes les portes sont décorées avec des peintures de différents styles, c’est très animé et joli à voir la nuit tombée.

Funchal ne serait rien sans ses téléphériques qui vous transportent en haut de la ville qui se situe là-haut, très haut ! Il y a seulement deux dimensions dans cette ile : le haut et le bas. Pour un forfait de 31 euros, on prend deux téléphériques qui vous trainent de cimes en cimes, suspendus dans les airs avec le vide sous soi et qui vous lâchent d’abord au jardin tropical puis au jardin botanique. Le jardin botanique est de toute beauté : Alice au pays des merveilles y était avant moi. Toutes les plantes s’y plaisent, je suis certaine que les premières plantes ont dû pousser dans cet endroit. Si la terre a été créé pour porter la vie, alors le jardin botanique est le berceau de la vie végétale. Je ne suis pas une spécialiste des fleurs mais si vous me donnez un nom, vous pouvez être assurés de la trouver dans ce lieu et beaucoup plus belle et grande que dans votre imagination.

Pour optimiser le séjour à Madère, il faut cependant louer une voiture. Pas de problème : pour 46 euros TTC la journée, une fiat UNO noire vous attend à 9H du matin devant l’hôtel. Dans l’ile toutes les fiat UNO sont conduites par des touristes qui roulent lentement et redoublent de prudence, vous l’aurez aisément compris. Mon conseil : surtout ne pas quitter le réseau rouge national des voies express. Me voilà autonome avec la petite fiat pour faire la randonnée du siècle : la pointe Saint Laurent. C’est le bout de ce monde, le bout de l’ile où nous attend au sommet une vierge en plastique et une mouette rieuse. Il faut compter environ 3 heures de marche où l’on va de surprises en surprises parmi des paysages plus majestueux les uns que les autres. C’est une marche facile, bien balisée mais l’émotion est intense car on se sent tout petit à travers ces parois rocheuses qui surplombent l’océan à perte de vue. Je comprends pourquoi du ciel, nos astronautes voient la planète bleue, c’est ce bleu franc des images envoyées par Thomas Pesquet qui nous sont proposées ici, à ceci près que nous ne sommes pas en apesanteur bien que mon cerveau y était, je puis vous l’assurer. Les passages sont larges, des escaliers sont aménagés lorsque ça grimpe trop. Les montées abruptes sont courtes. Je garde en mémoire un passage où le vide était à droite et à gauche : je le craignais car j’avais lu la description sur le guide du routard. Il est très large et je n’ai réalisé que je passais à cet endroit qu’au retour. Il faut préciser que j’avais souvent les yeux rivés sur mes pieds, faisant des pauses pour admirer ces impressionnants paysages car je devais emprisonner mes phobies dans un coin reculé de ma tête et elles n’étaient pas toujours disposées à y rester !

Se baigner dans les eaux madériennes relève parfois du défi car il n’y a pas de plage, sauf exception là où elles ont été aménagées avec du sable du Maroc pour un coût faramineux. Pour mettre un pied dans l’eau, en général, il faut franchir les gros cailloux et galets plus ou moins plats : prévoir tongs ou chaussures d’eau. Par contre, c’est le coin de rêve pour les planchistes, les plongeurs. Moi qui ne suis qu’une modeste nageuse, j’ai préféré les piscines naturelles du nord de l’ile. Les explosions volcaniques ont déposé les blocs noirs en grands cercles ouverts sur l’océan. Là-dedans, l’eau se renouvelle tous les jours avec le rythme des marées et les rochers freinent la violence des vagues.

Il me reste encore à vous parler de l’habitat traditionnel qu’on trouve à Santana après avoir longé la belle route fleurie qui traverse le parc naturel classé au patrimoine mondial naturel de l'UNESCO, bordée d'hortensias sauvages de toutes les couleurs selon la composition du sol et encore des fleurs, des fleurs, des fleurs. Heureusement qu’il y a ces fleurs pour adoucir la vertigineuse vision lorsqu’on circule entre ces deux géants que sont la montagne et la mer. A Santana se trouvent de curieuses maisons triangulaires, très colorées avec un toit en chaume : la maison du premier petit cochon de l’histoire des trois petits cochons a pour modèle la maison de Santana.

L’Ile Madère se découvre petit à petit, sa richesse naturelle est exubérante, suscitant de grandes émotions qui ne peuvent laisser indifférents. J’y ai ressenti l’esprit atlante, cette force humaine indispensable pour réaliser les grands projets, ceux qui ont dompté la terre et l'ont aménagée contre vents et marées. L’intérêt de l’ile pour les premiers colons fut la canne à sucre dont Christophe Colomb faisait commerce. Il y a trouvé l’amour puisque sa femme Filipa Moriz était native de l’ile voisine. Filipa et Christophe ont eu un fils, Diégo, qui a été gouverneur de San Domingue que j’ai eu le plaisir de visiter il y a quelques années sur les pas de ce grand navigateur. Cette force humaine fut aussi la souffrance et l’enfer des esclaves qu’on marchandait pour porter à travers les étroits passages escarpés les produits (raisins ou canne à sucre) à destination des riches de ce monde. Aujourd’hui, il y a beaucoup de chômage et le Portugal a imposé une politique de restriction du même ordre que celle qui a été imposée à la Grèce par la communauté européenne : rien n’est jamais parfait, toute médaille a son revers. L’ile ne vit presque que du tourisme. Qui parmi les jeunes voudrait cultiver les bananes, la canne à sucre, les fruits dans ces terrasses à flanc de montagne difficilement accessibles aux machines agricoles ?

Actuellement, les contraintes de circulation liées à la pandémie de coronavirus sont à vérifier.

( Le 04/01/2021 )68